Sexe : ce qui nous passe par les yeux

Sexe : ce qui nous passe par les yeux

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PhiloSex, Travaux Pratiques

04 Mar 21

Soutenir un regard, se regarder au fond des yeux est signifiant et toujours un peu troublant.
Ne dit-on pas de certains regards qu’ils sont pénétrants ?
Les yeux fermés et les jeux de regards pendant nos ébats sexo-amoureux sont très particuliers : plus loin que nos corps en mouvement ils ont une puissance qui nous fait basculer entre notre monde et celui de l’autre.

Nos regards s’enlacent…
Je vois, je cherche, je te rencontre quelque part derrière tes pupilles, car mon regard a décroché : ce ne sont plus vraiment tes yeux que je regarde, la mise au point se fait un peu plus loin, quelques centimètres plus en profondeur.
Je vacille, entre captivée par tes yeux grâce auxquels je touche tes émotions et mon corps qui me retient à lui dans un élan égoïste, oscillant entre toi et moi, dans un flou envoûtant et enivrant. À chaque fois que mon corps gagne, je lâche tes yeux et mes paupières se ferment dérobant ce que je ne peux plus partager et je glisse délicieusement vers l’intensité du moment présent, l’abandon, la transe sensuelle…
Branché.e sur tes yeux
Mis à part quelques singes comme les bonobos, nous sommes une des seules espèces de mammifères à pouvoir faire l’amour en nous regardant dans les yeux… On dit que les yeux sont « la fenêtre de l’âme » et en scrutant nos lucarnes dans ce moment d’union et de lâcher prise on accepte d’être enfin mis à nu.e. Cette communion augmente notre sentiment d’intimité et approfondit nos sensations d’amour et d’attachement. Elle exalte notre dimension émotive et relationnelle en nous invitant à livrer notre intérieur simultanément l’un à l’autre dans un moment de fragilité, de démission : on donne, on lâche tout, et l’autre est notre seul filet.
Cependant, cette intimité implique la capacité de se mettre dans la peau de l'autre sans perdre la sienne :

Le regard est la fonction la plus exacte dans la régulation de la distance intime […] le regard de l’autre n’est pas neutre, c’est une perception qui provoque une alerte émotive, une sensation d’invitation ou d’intrusion. […]
L’enfant comprend, vers deux-trois ans qu’en le regardant l’autre le capture. Il comprend qu’il existe dans l’esprit de l’autre, que c’est de lui dont il s’agit dans son regard.
Boris Cyrulnik - Les nourritures affectives

Tu m’extrapelles
En me regardant dans les yeux tu m’appelles en dehors de moi. Du coeur de ton regard je reçois l’inédit. Je ressens toute l’intensité de la surprise du moment qui suit, que j’observe frémissant.e, béat.e. J’entrevois quelque chose dans l’expression de tes yeux et je tente une représentation.
Les mots n’ont presque pas leur place, tout se passe comme s’il s’établissait au travers des yeux un dialogue de ressentis : je te laisse regarder au fond de moi au moment où je suis le.la plus ouvert.e, vulnérable et, extatique, je perçois ce que ton propre corps reçoit.
Dans cette offre à l’autre il y a une sorte de sentiment d’appartenance mutuelle, une sphère commune dans laquelle s’accouplent les énergies de chacun.
Mais ce moment troublant demande une connexion active, en pleine conscience, une certaine concentration : l’échange qui se passe dans les regards nous décentre, alors que l’émoi sexuel est centré. L’invitation du regard soutenu de l’autre « excite et effraie, comme la vie ». (B.C. - Les nourritures affectives).
A fortiori, éviter d’enlacer le regard de l’autre me permet de focaliser mon attention sur ce que je reçois.

Les yeux grands fermés
Ne pas voir nous permet de nous protéger, de nous concentrer : on s’enfonce dans son propre corps qui nous engloutit comme des sables mouvants. C’est un moyen de ressentir plus précisément et plus intensément la diffusion intérieure de notre plaisir.
Fermer les yeux est aussi une marque de confiance, d’accompagnement, de présence à l’autre.
Pour une femme, qui a souvent entendu parler de l’intériorité de ses organes génitaux, se retirer dans sa bulle pendant l’amour est une manière de rejoindre sa propre intimité.
Et tout comme la mort que l’on traverse seul.e, l’orgasme (aussi appelé petite mort) reste égotiste et se vit « à rideaux fermés », même s’il n’entrave en rien le partage émotionnel qui lui donné naissance.

D’ailleurs, rien de tel que de se priver à dessein de cette interaction visuelle en se couvrant les yeux d’un bandeau pour percevoir la différence entre les sensations qu’il supprime et celles qu’il exalte !
L’attention qui est naturellement présente dans le regard se porte ailleurs, s’exacerbe sur les autres parties de mon corps, sur les autres sens, notamment le toucher.
Coupant court à l’anticipation possible, s’empêchant de pressentir l’autre, on laisse libre cours à l’imagination qui se développe et les perceptions sont exaltées : les caresses deviennent différentes, plus surprenantes, plus ressenties et plus subtiles...


Ils en parlent :

Boris Cyrulnik - Les nourritures affectives.

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